jeudi 12 janvier 2017

Mini - Chapitre un

Beaucoup de lecteurs voulaient savoir ce qui arrivait à Mini à la fin de Benoit, mon roman d'horreur/suspens de la série Cobayes (publié aux éditions de Mortagne). Alors, voici donc la suite pas trop officielle de Benoit Mini. Cela dit, ce n'est pas un roman, seulement quelques chapitres pour notre plaisir mutuel. Moi, ça me sert d'exercice d'écriture avant de travailler sur mes textes; vous, ça vous permet de faire durer le plaisir de cette étrange histoire.



Avertissement
Si vous n'avez pas lu tous les livres de la série, cette histoire est basée sur un des éléments importants de l'intrigue, alors c'est à vos risques et périls.

Remerciements
À mes éditrices, qui me laissent publier gratuitement ces quelques chapitres sur l'histoire de Mini. 
À mes compagnons de plume, les concepteurs et auteurs de la série avec qui j'ai passé des heures à élaborer un univers plus que complet pour nos chers lecteurs. 
À mes lecteurs, qui m'ont tellement supplié que je n'ai pas su résister.
À Ariane Bergeron, ma bêta-lectrice surdouée. Ce projet aurait mis beaucoup plus de temps à paraître sans toi.


Chapitre un

-- Bienvenue à Kuala Lumpur, clame le traducteur dans un français bien senti. Mon nom est Shanti.

Charles pénètre dans l'aérogare en pleine nuit. Le décalage alourdit ses pensées. Sur les vingt-six heures qu'a duré son voyage, il n'en a dormi qu'une douzaine, répartie très inégalement. Le reste de son temps, il l'a consacré à étudier le dossier de la mystérieuse femme qu'il est chargé de ramener à son client. Une femme et son enfant, plus précisément.

-- Enchanté, Shanti, marmonne Charles. Je t'avoue que j'aurais besoin de dormir un peu avant d'entamer notre périple.

-- Pas de problème. De toute façon, à une telle heure, nous ne pourrions pas nous rendre en campagne. Je vous amène à votre hôtel.

Vue de la fenêtre du taxi, Kuala Lumpur rappelle un New York moyen-oriental. Des immeubles hauts et complètement illuminés, des rues aux voies congestionnées comme ce n'est pas possible et des gens, des milliers de personnes toutes semblables circulant à contresens comme dans une fourmilière éclairée au néon. En fait, pour le commun des mortels, ils se ressemblent tous, mais Charles a l’œil aiguisé. C’est son travail. Le chauffeur est fatigué. Il est impatient de revoir sa famille. Son regard passe constamment de sa montre à la photo usée collée à même le tableau de bord. De son côté, Shanti touche sa bague de mariage du bout du pouce quand il remarque des amoureux s’embrasser sur le trottoir. À voir son sourire, Charles devine qu’il est encore dans ses premières années de couple.

Dommage que la jeune femme ne se soit pas réfugiée en ville. Ç'aurait été une occasion d'explorer cette exotique métropole. Charles aurait pu prendre quelques jours pour s'imprégner de l'endroit avant de partir à la recherche de sa cible, mais comme c'est un contrat, il reçoit le même montant, que la chasse dure deux jours ou deux semaines.

Charles pense à sa mère. Cette femme retraitée, mordue de cyclisme, de couture et de dessin. D’ailleurs, la veste qu’il porte aujourd’hui a été conçue à même le petit atelier maternel. Machinalement, Charles roule le rebord de tissu entre son pouce et son index, savourant la texture molletonnée contre sa peau. Inutile de dire que le penchant artistique de la cible interpelle Charles. Il se rappelle toutes ces soirées passées près de sa mère, dans le silence de l’atelier, à la regarder tracer au plomb de grandes esquisses étranges. Petit à petit, elles se concrétisaient, prenaient tantôt l’aspect d’un arbre ou d’une forêt, tantôt celui d’une maison ou d’un château.

-- Je vous cueille ici dans six heures, précise Shanti lorsqu'il laisse Charles sur le seuil de sa chambre. Nous serons à destination pour le dîner.

À voir son empressement, Shanti s’en va 
certainement retrouver sa femme.

***

Dès qu'ils quittent la ville, le paysage change complètement. Les odeurs aussi. Ils passent du mélange de métal et de sueurs à celui du purin et de la verdure. La campagne malaisienne est hétéroclite. Parfois, le paysage touche l'horizon. À d'autres moments, on ne voit que quelques mètres devant tant la forêt est dense. Quant à la route, si un tel terme peut s'appliquer, elle passe tantôt du bitume à la rocaille, à la terre battue ou à de simples ornières travaillées par des charrettes et de rares camions de livraison.

De temps à autre, Charles tente de jeter un dernier coup d'œil à ses notes, mais c'est en vain. Shanti lui lance sans arrêt des informations sur la faune et la flore de la région, pointant à gauche et à droite sans constater le manque d'intérêt de son client. Il ne remarque pas non plus que son bras ne cesse de raser le nez de Charles chaque fois qu'il le lève pour montrer quelque chose à travers la fenêtre de droite.

De toute façon, Charles en a assez lu. Il ne tient pas à s'imprégner autant de ce dossier. Il a l'habitude de fonctionner à l'énergie. Que ce soit dans la vente ou les contrats de relations publiques, il a toujours eu un talent naturel pour charmer les gens et les gagner à sa cause. C'est ce qui fait de lui un des meilleurs dans son domaine. C'est pourquoi on le paie cher pour approcher des gens que personne n'arrive à aborder. Bien qu'il ne sache pas ce qui est arrivé aux autres chasseurs de têtes ayant tenté le coup avant lui, il se doute que ce n'est pas très beau, surtout considérant le crime horrible que cette femme a commis avant de disparaître de la carte.

Après cinq heures et demie de routes cahoteuses, le véhicule s'arrête au centre d'un petit village sans nom. La photo que Charles a en main date d'il y a cinq ans. Pris lors du premier et dernier vernissage de sa cible, ce cliché est le seul lien qui l'attache à la jeune femme.

À peine descendu du véhicule, Shanti attire des passants à lui et les mitraille de questions en montrant Charles et sa photo, mais les villageois n'aiment pas son approche. Shanti a beau être un guide qualifié, il n'est pas habile avec les humains...

-- Je vous laisse la photo, fait Charles en s'éloignant de son traducteur. Je vais voir comment je me débrouille en solo.

Un homme assis près d'une charrette tend un litchi à Charles. Le geste le touche sincèrement, alors il s'empresse aussitôt de lui offrir un billet. Malgré un premier refus poli, l'homme conserve le billet lorsque Charles insiste. Quelques pas plus loin, Charles a déjà englouti le fruit. Le goût sucré et parfumé continue de caresser ses papilles alors qu'il prend place devant ce qu'il croit être un fast food malaisien. La cabane de bois est divisée sur toute la longueur, ce qui permet de s'accouder sur le rebord et d'avoir une vue sur la cuisinette installée à même le sol.

Par terre, une femme, un bébé sur une cuisse, touille un mélange de feuilles et de légumes en julienne dans un wok noirci. Les parfums de noix de coco qui se dégagent de la cabane donnent l'eau à la bouche.

Un nouveau billet à la main, Charles se racle la gorge en souriant. La femme lève la tête. Surprise, elle dépose le bébé, se redresse et explique quelque chose d'incompréhensible. On dirait qu'elle tente de parler anglais. Charles lui tend simplement le billet et fait mine de manger avec ses doigts dans sa main. La bouche de la femme s'arrondit, comme lorsqu'un enfant s'exclame "Ooooooh!". Elle s'empresse de préparer un bol. Elle attrape le billet et le place entre ses paumes, comme pour prier, puis les embrasse en signe de remerciement. Charles lui renvoie la politesse en joignant ses paumes.

Charles a presque terminé son bol quand il aperçoit, sur le mur de la cabane, une feuille de papier d'à peine une douzaine de centimètres de large, haute de pas plus de huit centimètres. Un dessin au fusain. Comme sa mère en faisait parfois. Une cabane malaisienne dessinée dans le style de Tim Burton, le réalisateur et artiste préféré de la cible. Et dans un village où l'électricité est encore mystérieuse, les chances sont grandes pour que ce soit ELLE qui soit à l'origine de ce dessin.

Intéressé, Charles montre l'image du doigt. Au début, la femme refuse de la lui montrer, comme si elle craignait qu'il tente de l'acheter. Charles essaie de lui faire comprendre qu'il aimerait savoir qui a créé cette œuvre. Il mime des jumelles, pointe le dessin. Les yeux de la femme s'illuminent. Elle hoche la tête. Oui, elle comprend. Elle pointe le dessin, puis se penche par-dessus l'embrasure de sa cabane comme on se penche à une fenêtre d’auto pour mieux voir l’extérieur. Elle fait faire trois sauts à sa main vers la droite de Charles.

-- Par là? dit Charles, incertain, mais amusé par le geste.

La femme hoche à nouveau la tête, puis imite un samouraï qui abat son katana sur la tête d'un condamné.

Ils parlent certainement de la même personne, Minya Beaudoin.

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