Après avoir échangé
quelques mots avec le vieil homme à l'intérieur, Minya guide Charles jusque
chez elle. En chemin, elle ne brise le silence que pour répondre aux questions
de sa fille, qui joue candidement autour d'eux sans constater la tension
mortelle qui plane entre sa mère et l'inconnu. Minya s’éclaircit la voix.
-- Si c'était juste de
moi, je t'aurais déjà tué, finit-elle par dire en anglais.
-- Alors j'en remercie
ta fille. J'aurais dû apporter des bonbons.
Minya a secoué les
épaules une fraction de seconde, comme si elle l'avait trouvé drôle. Peut-être
Charles a-t-il une chance de la convaincre, finalement?
Ari attrape deux des
doigts de Charles et l’observe comme un objet unique. Avec son teint basané et
ses petits yeux noirs, elle ressemble à une poupée grandeur nature. Ses cheveux
lisses et noirs, taillés à la hauteur de sa mâchoire, lui donnent un air coquin
qui plaît beaucoup à Charles. Elle déambule à ses côtés comme si le village lui
appartenait.
-- Là, c’est pépé
Ghana. À côté, c’est Oto, mais il n’aime pas les inconnus, alors ne le salue
pas, d’accord? Là-bas, c’est notre maison. On fait la course?
Ari décolle aussitôt.
À la voir aller, Charles se remémore cette sensation unique que les enfants
ont, alors qu’ils courent le plus vite possible, de se transformer en train ou
en fusée pour accélérer davantage.
Même s’il la rattrape
en quelques enjambées, Charles laisse Ari gagner, parce qu’il n’y a rien de
plus agréable pour un enfant que de battre un adulte dans une compétition.
La résidence de Minya
est très humble. Elle est constituée d'une seule pièce à l'odeur terreuse. D'un
côté, deux paillasses roulées, deux coussins poussiéreux et une table basse. De
l'autre côté, un cruchon d'eau, une bassine et un chaudron, déposé à même une
grille au-dessus d’un petit foyer grisâtre. La seule chose qui ne cadre pas
avec cet endroit, c'est le couteau de cuisine suspendu en haut de la cuisinette
: une lame étincelante, incontestablement tranchante, où un artiste a gravé un
paysage étrange. Charles s’en approche pour mieux l’observer.
-- Lâche ça! lui ordonne
Minya.
Elle se retourne
ensuite vers la petite et lui lance un mot gentil. Celle-ci sort contre sa
volonté dans la cour arrière. Minya tire quelques fruits et légumes du sac
qu'elle portait en bandoulière depuis la forge, puis s'agenouille près du
foyer. Elle attrape quelques brindilles et allume un petit feu, qu'elle
entreprend d'alimenter en interrogeant Charles.
-- Raconte-moi ton
histoire, fait-elle, comme s'il s'agissait de la seule façon pour lui de gagner
sa confiance.
Enfin. Ils entrent
maintenant dans sa zone de confort. Charles tousse un coup, irrité par la
fumée.
-- Je vais te proposer
quelque chose. Faisons ça comme un premier rendez-vous.
Elle lève des yeux
intrigués vers lui. Il a marqué un point. Il s'explique.
-- On pose une
question chacun notre tour.
-- Je veux jouer
aussi! s'exclame la petite, incapable de s’éloigner des adultes et de leur
discussion mystérieuse.
-- Bien, tu joues
aussi, lui confirme Charles. Pose la première question.
-- Quel est ton nom?
demande-t-elle.
-- Charles Boyer. Et
toi?
-- Ariane, fait-elle
en lui tendant sa petite menotte pour qu’il la serre. As-tu une femme? Un
enfant? Une fille, par exemple?
Sans lui souligner
qu’elle ne respecte pas les règles du jeu, Charles répond avec amusement.
-- Je n’ai ni femme ni
enfant, malheureusement. Je voyage trop.
-- En avion!? s’étonne
Ariane.
Charles a toujours
préféré les enfants aux adultes. Leur spontanéité, leur franchise. C’est ce
qu’il adorait quand il animait des camps de jour durant ses années d’études.
Les enfants sont directs et, s’ils cachent quelque chose, leurs traits se
métamorphosent sous l’effet de la tromperie. C’est pourquoi il joue toujours
franc jeu avec eux. Ils le sentent tout de suite et s’ouvrent en toute
simplicité.
-- En avion,
répète-t-il. Partout dans le monde.
De son côté, Minya
prépare le repas, feignant de ne pas écouter.
-- Wow! Et c’est pour
ça que ta peau est toute pâle?
-- Ari, souffle sa
mère.
Charles sourit, alors
qu’Ariane perd son enthousiasme.
-- D’où je viens, on
trouve des gens avec différentes teintes de peau…
-- Moi aussi, j’ai une
question, coupe Minya.
À en juger par ses
épaules légèrement relevées et sa position de côté, Charles comprend que son
petit jeu l’exaspère. Il la regarde avec sérieux.
-- Je t’écoute.
-- Pourquoi avoir
choisi cette job-là?
-- Parce que l’humain
me passionne. Notre complexité m’éblouit.
En disant cela, il
espère qu’elle n’arrive pas à voir combien ELLE le fascine.
-- J’aime la façon dont
un sourcil relevé ou un roulement d’épaule peut changer l’entièreté d’une
discussion, continue-t-il.
Mini se retourne vers
le four. Ce n’est pas ce qu’elle voulait entendre.
-- À mon tour, dit
Charles, en anglais. Pourquoi as-tu tué tout le monde après avoir tué Benoit?
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire