jeudi 26 janvier 2017

Mini - Chapitre trois



Chapitres : 1 - 2
Chapitre trois

Après avoir échangé quelques mots avec le vieil homme à l'intérieur, Minya guide Charles jusque chez elle. En chemin, elle ne brise le silence que pour répondre aux questions de sa fille, qui joue candidement autour d'eux sans constater la tension mortelle qui plane entre sa mère et l'inconnu. Minya s’éclaircit la voix.

-- Si c'était juste de moi, je t'aurais déjà tué, finit-elle par dire en anglais.

-- Alors j'en remercie ta fille. J'aurais dû apporter des bonbons.

Minya a secoué les épaules une fraction de seconde, comme si elle l'avait trouvé drôle. Peut-être Charles a-t-il une chance de la convaincre, finalement?

Ari attrape deux des doigts de Charles et l’observe comme un objet unique. Avec son teint basané et ses petits yeux noirs, elle ressemble à une poupée grandeur nature. Ses cheveux lisses et noirs, taillés à la hauteur de sa mâchoire, lui donnent un air coquin qui plaît beaucoup à Charles. Elle déambule à ses côtés comme si le village lui appartenait.

-- Là, c’est pépé Ghana. À côté, c’est Oto, mais il n’aime pas les inconnus, alors ne le salue pas, d’accord? Là-bas, c’est notre maison. On fait la course?

Ari décolle aussitôt. À la voir aller, Charles se remémore cette sensation unique que les enfants ont, alors qu’ils courent le plus vite possible, de se transformer en train ou en fusée pour accélérer davantage.

Même s’il la rattrape en quelques enjambées, Charles laisse Ari gagner, parce qu’il n’y a rien de plus agréable pour un enfant que de battre un adulte dans une compétition.

La résidence de Minya est très humble. Elle est constituée d'une seule pièce à l'odeur terreuse. D'un côté, deux paillasses roulées, deux coussins poussiéreux et une table basse. De l'autre côté, un cruchon d'eau, une bassine et un chaudron, déposé à même une grille au-dessus d’un petit foyer grisâtre. La seule chose qui ne cadre pas avec cet endroit, c'est le couteau de cuisine suspendu en haut de la cuisinette : une lame étincelante, incontestablement tranchante, où un artiste a gravé un paysage étrange. Charles s’en approche pour mieux l’observer.

-- Lâche ça! lui ordonne Minya.

Elle se retourne ensuite vers la petite et lui lance un mot gentil. Celle-ci sort contre sa volonté dans la cour arrière. Minya tire quelques fruits et légumes du sac qu'elle portait en bandoulière depuis la forge, puis s'agenouille près du foyer. Elle attrape quelques brindilles et allume un petit feu, qu'elle entreprend d'alimenter en interrogeant Charles.

-- Raconte-moi ton histoire, fait-elle, comme s'il s'agissait de la seule façon pour lui de gagner sa confiance.

Enfin. Ils entrent maintenant dans sa zone de confort. Charles tousse un coup, irrité par la fumée.

-- Je vais te proposer quelque chose. Faisons ça comme un premier rendez-vous.

Elle lève des yeux intrigués vers lui. Il a marqué un point. Il s'explique.

-- On pose une question chacun notre tour.

-- Je veux jouer aussi! s'exclame la petite, incapable de s’éloigner des adultes et de leur discussion mystérieuse.

-- Bien, tu joues aussi, lui confirme Charles. Pose la première question.

-- Quel est ton nom? demande-t-elle.

-- Charles Boyer. Et toi?

-- Ariane, fait-elle en lui tendant sa petite menotte pour qu’il la serre. As-tu une femme? Un enfant? Une fille, par exemple?

Sans lui souligner qu’elle ne respecte pas les règles du jeu, Charles répond avec amusement.

-- Je n’ai ni femme ni enfant, malheureusement. Je voyage trop.

-- En avion!? s’étonne Ariane.

Charles a toujours préféré les enfants aux adultes. Leur spontanéité, leur franchise. C’est ce qu’il adorait quand il animait des camps de jour durant ses années d’études. Les enfants sont directs et, s’ils cachent quelque chose, leurs traits se métamorphosent sous l’effet de la tromperie. C’est pourquoi il joue toujours franc jeu avec eux. Ils le sentent tout de suite et s’ouvrent en toute simplicité.

-- En avion, répète-t-il. Partout dans le monde.

De son côté, Minya prépare le repas, feignant de ne pas écouter.

-- Wow! Et c’est pour ça que ta peau est toute pâle?

-- Ari, souffle sa mère.

Charles sourit, alors qu’Ariane perd son enthousiasme.

-- D’où je viens, on trouve des gens avec différentes teintes de peau…

-- Moi aussi, j’ai une question, coupe Minya.

À en juger par ses épaules légèrement relevées et sa position de côté, Charles comprend que son petit jeu l’exaspère. Il la regarde avec sérieux.

-- Je t’écoute.

-- Pourquoi avoir choisi cette job-là?

-- Parce que l’humain me passionne. Notre complexité m’éblouit.

En disant cela, il espère qu’elle n’arrive pas à voir combien ELLE le fascine.

-- J’aime la façon dont un sourcil relevé ou un roulement d’épaule peut changer l’entièreté d’une discussion, continue-t-il.

Mini se retourne vers le four. Ce n’est pas ce qu’elle voulait entendre.

-- À mon tour, dit Charles, en anglais. Pourquoi as-tu tué tout le monde après avoir tué Benoit?

Minya resserre la poigne sur son couteau…

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