lundi 14 décembre 2015

Trois préjugés sur les grosses maisons d'édition

S'il y a quelque chose que l'université m'a apprise, c'était que les maisons d'éditions qui faisaient de la publicité - et qui vendaient beaucoup de livres - représentaient le Mal. Bien que ce ne fut pas leurs réelles intentions - disaient-ils - les profs ont fini par nous rentrer dans la tête que de publier dans une grosse maison d'édition, c'était vendre son âme au diable.

Parmi les préjugés qu'on m'avait malencontreusement inculqués, il y avait :


Les grosses maisons d'éditions ne s'intéressent qu'à l'argent.

Non. Certaines personnes ne s'intéressent qu'à l'argent, mais elles travaillent dans tous les milieux, pas seulement en édition. Ces avares sont notaires, distributeur, même profs d'université à ce que je sache. Et il faut aussi distinguer « vouloir être rentable » et « lancer son cash aux poubelles ». Les grosses maisons d'édition fonctionnent sur un principe très simple. Si un livre vend beaucoup, il permet à d'autres livres d'être publiés à leur tour. C'est magique, n'est-ce pas? Avec une petite maison plus « intello », on imprime un livre en espérant rembourser l'impression dans la première année, et on compte sur une subvention pour imprimer le prochain.

En signant avec les Éditions de Mortagne, je m'attendais donc à ça. Pourtant, ce que je vois, après plus de deux ans de collaboration, c'est que, quand l'éditrice m'appelle ou m'écrit, ce n'est pas pour me dire : « Hey, bravo, t'a vendu quatre cents exemplaires ce trimestre. » Quand elle m'appelle ou m'écrit, c'est pour me dire : « Hey, bravo, t'as reçu une belle critique dans telle ou telle revue. »

L'autre chose, c'est que les auteurs aussi s'intéressent aux ventes, en passant. Moi, j'aimerais vivre de mon écriture, un jour. Que quelqu'un vienne me reprocher que mon livre se vend bien, pour voir! Je ne suis pas un capitaliste fini, je suis un prof à temps plein dont le salaire fait vivre une famille de cinq avec maison et voitures, alors puis-je au moins m'assurer que mes frais de déplacement seront couverts quand j'irai dans les salons du livre de tout le Québec sans me sentir mal s'il vous plaît. Et, en passant, j'ai fait 400 $ de droits d'auteur depuis 2010, année où L'Aquilon a été publié aux Six Brumes. Mes droits d'auteur pour Benoit ne rentreront pas avant le printemps, alors on s'en reparle à ce moment.


Les grosses maisons d'éditions ne font pas de direction littéraire.

Elles n'en font pas toutes, en effet. Je sais par exemple qu'ADA ne fait qu'une correction et passe directement à l'impression (ce qui n'enlève rien à l'amour que je porte à certains auteurs publiés chez ADA). Cela a pour effet de « brûler » des auteurs qui auraient eu une meilleure reconnaissance dès leur entrée dans le milieu. 

Par contre, je peux confirmer que les Éditions de Mortagne en font, et poussent très loin parfois, au point d'être prêts mettre un an de travail avant de publier un titre (je ne nommerai pas de titre, mais j'en connais). Le travail dépend surtout du directeur littéraire. Certains sont moins sévères que d'autres, dans les grosses maisons comme dans les petites. J'ai travaillé aussi fort sur L'Aquilon (un novella de cent pages) que sur Parfaite (un roman pour ado de trois cents pages).

L'expérience était similaire, d'ailleurs. Dans les deux cas, j'ai été très heureux de voir mon livre devenir meilleur. J'ai adoré qu'on m'encourage à approfondir des idées que j'avais négligées. Bref, je serais déçu de publier chez un éditeur qui ne ferait pas de direction littéraire. Au stade où j'en suis, de toute façon, je demanderais que soit ajoutée au contrat une clause exigeant l'intervention d'un directeur littéraire de mon choix.


Les grosses maisons d'éditions ne se préoccupent pas de auteurs.

Encore là, à ce que je sache, ces maisons sont rares. Jusqu'à maintenant, tous les éditeurs que j'ai rencontrés aiment sincèrement leurs auteurs, et ce, peu importe le nombre d'exemplaires vendus. Certains éditeurs demeurent des trous du cul qui se foutent simplement de leurs auteurs, mais il vous faudra m'enivrer à un point illégal pour que j'en parle... Mon expérience personnelle est très positive.

Je peux appeler deux de mes trois éditeurs à tout moment, et ils se feront un plaisir d'écouter mes déboires avec empathie. Six Brumes, De Mortagne et Phoenix m'accueillent toujours à leur kiosque avec des poignées de mains franches et de sincères accolades, et ils ne sont pourtant pas de la même taille. Ils me font me sentir bien et à ma place. Bref, j'adore mon monde, et je suis pris d'une bouffée d'amour quand je pense aux petites attentions que mes éditeurs ont pour leurs auteurs.


Mais le plus beau, c'est l'énergie qui s'empare de moi quand je croise les lecteurs et mes collègues auteurs. La passion que nous partageons tous surpasse toutes les tristesses du milieu, que ce soit le nombre insuffisants de lecteurs québécois, les coupures qui affectent le milieu de l'édition ou les piteux droits d'auteur que la majorité des écrivains reçoivent.

Pour moi, un Salon du livre, c'est Noël. Et Noël, que ce soit avec du poulet congelé ou une grosse dinde, c'est toujours le fun quand on le partage en bonne compagnie.

12 commentaires:

  1. Amen! Et j'ajouterais à ça juste une chose : Moi non plus, je n'aurais plus de plaisir aujourd'hui à publier sans direction littéraire. On devient vite accro à cette affaire-là... ;)

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  2. La vie serait triste sans direction littéraire! À La Maison des viscères on est assez intenses sur la question. Demandez à nos auteurs!

    PS: On va bientôt partager deux éditeurs :-D Qui sait, Carl, peut-être qu'un jour notre diagramme de Venn littéraire vas se superposer à 100%?

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    1. Ah ah! Est-ce une demande officielle pour une nouvelle gore?

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    2. C'était pas une invitation (mais tu peux nous proposer un projet quand tu veux).

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  3. Je me demande comment ces préjugés sont nés.

    Bon, pour la question de l'argent, je comprends : dans l'esprit de certains, la maison fait de l'argent, donc seul l'argent doit l'intéresser.

    Pour la direction littéraire, j'ai longtemps cru que ça existait pas une maison d'édition sans direction littéraire(ouais, j'suis naïve de même! ;). Par contre, j'ai remarqué au fil du temps que ce qui est important pour la direction littéraire de la maison A n'est pas important pour celle de la maison B. Certains travaillent davantage l'arrière-monde (je pense à Alire et aux Six Brumes), alors que d'autres se préoccupent davantage de psychologie et d'émotions (XYZ, VLB, Mortagne, etc). Je crois que ça a amené des lecteurs habitués à lire des livres édités chez A à croire que les auteurs de chez B n'avaient pas de dir litt. (En fait, pour avoir jasé avec des gens de plusieurs horizons, je sais que dans au moins un cas, c'est ça qui s'est passé).

    Mais pour le fait que les grosses maisons ne s'occupent pas de leurs auteurs, là je comprends vraiment pas d'où le préjugé peut venir. Parce que même si vraiment ces maisons ne s'intéressaient qu'à l'argent, on soigne ses poules aux oeufs d'or bonyenne! lololol! ;)

    Cela dit, j'suis sans doute biaisée, parce que je suis moi aussi une "vendue" qui espère vivre de sa plume un jour et, donc, signer avec une grosse maison! ;)

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    1. Y'a des éditeurs qui se foutent des livres qu'ils impriment, d'autres qui se foutent de leurs auteurs (dans le sens où ils ne trouvent pas important de les tenir au courant de l'avancement de leur projet, ou de trucs importants, du genre : on arrive pas cette année parce qu'on n'est des crisses de mauvais comptables).

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    2. En effet, ça existe. Malheureusement. Mais je ne pense pas que c'est la norme.

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  4. Je suis toujours étonnée de voir à quel point le milieu universitaire connaît mal le milieu du livre. C'est l'université, alors on penserait bien qu'on y enseigne la réalité. Mais voilà! Les universitaires ne vivent pas dans la réalité, ils vivent à l'université, une sorte de microcosme où l'on ne doute pas de ce que l'on sait et où l'on pense tout savoir. Oh, on y connaît très bien le milieu littéraire «littéraire», mais, entre vous et moi, il s'agit là d'une toute petite portion de la littérature. Il y a deux ans environ, j'ai dénoncé sur mon blogue ce prof de l'Université de Sherbrooke qui disait à ses étudiants que JAMAIS ils ne vivraient de leur plume à moins d'avoir le cancer. Or, rien qu'à Sherbrooke, justement, nous étions trois auteures à vivre de notre plume. Ce prof n'avait jamais entendu parler de nous, évidemment, mais il pétait la baloune de ses étudiants aspirants-écrivains avant qu'elle gonfle assez pour leur permettre de s'envoler. C'était de la jalousie pure.

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  5. Mais les étudiants croient-ils vraiment ce que leur disent leurs profs? Il me semble qu'à 18-19 ans, tu as un esprit un peu critique, tu te renseignes auprès d'autres sources, non? Surtout à l'ère des réseaux sociaux où tout se sait: le meilleur, le pire, le vrai,le faux. Tout pour mêler ou réveiller un jeune esprit!

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    1. C'est plus insidieux, et à beaucoup plus long terme qu'on le croit. Après trois ou quatre ans à se faire ressasser le même discours, même le plus rigide des esprits s'assouplit. Quant à valider les informations... Ces professeurs sont ceux qui écrivent les ouvrages de références, alors aller voir ailleurs ne fait que consolider ce qu'ils avancent. Les profs qui disent des choses horribles (King est un écrivain respectable qui a changé la littérature) ne réussiront jamais à obtenir un poste permanent à l'université.

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