Chapitre cinq
Avec les deux correspondances,
le vol a duré vingt-six heures. Avec un enfant en bas âge, ç’aurait pu être
horrible, mais Ariane a été un ange. Elle a passé la moitié du voyage à dormir
sur Charles. Son sommeil paisible, sa petite tête lourde et sa chevelure
écrasée contre les pectoraux de Charles ont eu l’effet d’un somnifère sur le
chasseur de têtes.
Le reste du temps,
Ariane a mangé tout ce que les hôtesses lui offraient en écoutant des films
pour enfants. L’espace d’un vol, elle a été la mascotte de l’avion. Tout est
nouveau pour elle. Son étonnement est contagieux. La moindre couleur lui tire
un cri de joie reconnaissable dans toutes les langues.
Un bref instant, alors
qu’il quittait l’aéroport et prenait la direction de Mont-Laurier avec
« la cible » à son bord, Charles s’était imaginé qu’ils formaient une
famille. Minya était sa femme; Ariane, sa fille. Ils revenaient d’une visite
chez la belle-famille en Malaisie.
Après de longues
minutes de silence à écouter le vent d’été s’engouffrer dans la voiture,
Charles pose finalement la question qui lui brûle les lèvres depuis qu’il a
fait la connaissance d’Ariane.
-- As-tu eu peur que
la chlorolanfaxine ait des effets sur ta fille?
Minya jette un coup
d’œil à l’arrière de la voiture, où la petite dort paisiblement, bien en
sécurité dans son siège pour enfant, enrobée par le parfum fleuri des champs
qui les entourent.
-- Oui. Chaque jour
depuis mon injection, je vis dans la peur de la voir devenir folle comme
Benoit. Je me réveille la nuit, terrorisée par des cauchemars où elle se la
joue Chucky-la-poupée-tueuse.
L’image d’Ariane munie
d’un katana saisit Charles.
-- Mais elle n’a
jamais montré un quelconque signe de violence depuis sa naissance, le rassure
Minya.
-- Nous y sommes,
indique Charles comme il aurait dit « ouf ».
Vus de l’extérieur, les
laboratoires de la docteure Chloé Verret ont l’apparence d’un simple bungalow.
Une petite haie, un garage double, un parterre fleuri. Pour être déjà venu ici,
Charles sait que le secret de cette bâtisse tient dans son sous-sol.
Ariane dans les bras,
Minya suit Charles jusqu’à la porte de côté. Une odeur de pâte à biscuit
chatouille leurs narines. Charles sonne et lance un sourire à Minya pendant que
la silhouette d’un homme s’approche de la fenêtre.
-- Charles! s’exclame
ce dernier à travers la moustiquaire. Entrez, Chloé vous attend.
-- C’est
François-Xavier, le mari de la docteure.
-- Je croyais que ton
client était un homme.
-- Il l’est. Chloé
Verret est la scientifique à la tête de son équipe de chercheurs.
Charles passe le
seuil, mais Minya ne lui emboîte pas le pas. Elle resserre plutôt son étreinte
sur Ariane.
-- Fais-moi confiance,
dit Charles d’une voix posée. Je sais que c’est inquiétant, mais personne ne
vous touchera. De toute façon, je crois que tu peux te défendre.
Il lui lance un clin
d’œil. Cette petite réplique suffit à lui tirer un sourire en coin. Minya
descend derrière lui vers le sous-sol mal éclairé.
Là, ils se retrouvent
devant un corridor étroit. Quatre portes sur le mur droit, quatre sur le
gauche. Toutes se font face dans un effet miroir des plus étranges. L’air est
plus frais qu’au rez-de-chaussée, un brin plus humide aussi. Le bruit de leurs
pas est étouffé par le tapis vieillot couvrant le sol. Sinon le vrombissement
sourd d’un climatiseur éloigné, rien ne vient déranger le silence qui règne
ici.
Au bout du corridor,
Charles ouvre la porte de droite. L’intérieur ressemble à un espace de
rangement ordinaire. Quelques meubles usés, des chaises dépareillées posées sur
une table poussiéreuse, un réfrigérateur des années soixante… vers lequel
Charles se dirige sans hésiter.
Il ouvre la porte, qui
donne sur un nouveau couloir d’où se dégage une faible odeur de désinfectant.
-- Wow! s’exclame
Ariane, une armoire magique…
-- Je n’aime vraiment
pas la tournure que ça prend, commente Minya en anglais. S’il arrive quelque
chose à ma fille, je jure que tu es mort.
-- J’en prends la
responsabilité, lui assure Charles pour la calmer.
Ils s’engagent à
l’intérieur et se retrouvent en quelques pas dans une installation digne d’un
laboratoire universitaire. Tout est immaculé. La blancheur des murs et des
meubles est décuplée par les lumières qui occupent l’entièreté du plafond. Là,
deux hommes et une femme s’affairent au-dessus d’éprouvettes, de mélangeurs et
d’autres outils qui rappellent à Charles ses cours de biologie du secondaire.
Comme il est déjà entré ici, il fait mine de ne pas être impressionné, mais il
remarque les yeux dilatés de Minya et sa bouche un tantinet entrouverte par la
surprise.
Une quatrième personne
vient à leur rencontre.
-- Charles! Comme je
suis contente! s’exclame la docteure Verret.
Même s’il ne visite
les laboratoires que pour une seconde fois, Charles connaît Chloé depuis deux
ans. Son client, Pascal Bouffard, l’avait engagée à l’époque afin de mener à
bien les entrevues d’embauche pour le poste de chercheur en chef. La franchise,
l’authenticité et l’intelligence de la docteure lui avaient permis de se
démarquer des autres candidats. On avait alors aménagé cette maison de façon à
ce qu’elle puisse servir à la fois de résidence et de laboratoire secret. À
l’époque, Charles n’avait aucune idée des intentions de son client.
La proximité de leurs
demeures et une certaine connivence ont fait en sorte que Charles, Chloé et son
conjoint se sont liés d’amitiés au fil des mois. Après tout, il est difficile
dans cette région de dénicher des fanatiques de jeux de société.
Chloé se tourne vers
Minya.
-- Avant de commencer,
précise-t-elle, j’aimerais, si vous me le permettez, vous faire des prises de
sang à toutes les deux. Pas grand-chose, juste un échantillon. Pascal devrait
arriver sous peu pour vous donner tous les détails.
Minya se tourne vers
Charles. Tout son corps crie qu’elle voudrait avoir confiance, mais qu’elle se
méfie.
-- Charles, je…
-- Fais-moi confiance.
Tout va bien aller.
-- Vous pouvez même
garder la petite sur vous, ajoute Chloé. Ça sera fini en un rien de temps.
À contrecœur, Minya
s’installe sur une chaise longue, Ariane étendue contre elle.
-- Ouch! Souffle la
petite quand l’aiguille touche sa peau.
-- Tu fais ça comme
une championne, dit Charles pour l’encourager.
Et il ne peut
s’empêcher de remarquer la moue réprobatrice qu’affiche sa maman. Quand vient
son tour, elle réprime un juron, comme si c’était davantage le geste que l’aiguille
qu’elle redoutait.
-- Et voilà, c’est
terminé! conclut Chloé.
-- J’arrive donc juste
à temps! s’exclame une voix caverneuse du fond du laboratoire.
Une seule personne a
ce timbre guttural qui vous fait trembler même quand il rit : Pascal
Bouffard, le propriétaire de Chemicor.
Merci beaucoup de nous offrir ces cinq chapitres.
RépondreSupprimerComme pour l'instant je n'ai lu que Benoît, j'ai envoyé ce spin-off sur ma tablette afin de pouvoir le lire dès que j'aurai terminé les six autres volumes.
En tout cas, je suis impatiente de vous relire.