Chapitre quatre
Le repas terminé,
Ariane s’empresse d’aller jouer dans la cour arrière. Charles est intrigué.
-- J’ai remarqué
qu’elle ne joue pas avec les autres enfants dans la rue.
-- Pas depuis
qu’AlphaLab a essayé de l’enlever.
Minya parle les dents
serrées. Elle se sert un troisième verre d’alcool de riz, fixe un point au loin
dans la cour. Charles l’imite, mais n’arrive pas à cacher la grimace que cet
alcool maison lui tire.
-- Je ne voyais pas
clair, lui confie Minya.
De tout le repas, elle
a évité de répondre à sa question. Maintenant qu’Ariane est loin, elle parle
enfin. Sa physionomie se transforme. Pour la première fois depuis que Charles
étudie son non verbal, il remarque des
signes de vulnérabilité.
-- Je n’ai pas eu
connaissance de ce qui s’est passé, continue-t-elle, mais, quand la drogue a
arrêté de faire effet, j’ai tout compris. Benoit avait tellement raison d’être
paranoïaque; j’ai tué une centaine de personnes cette nuit-là, dans le bar, et
rien n’est sorti dans les nouvelles. Rien du tout.
Elle tourne les yeux
vers Charles, qui hoche la tête avec sympathie. En effet, ce genre d’événement
aurait fait les nouvelles internationales.
-- Une semaine plus
tard, reprend-elle, je suis retournée chez AlphaLab.
Son regard plonge dans
le sien. Un frisson parcourt son échine.
-- Je les ai tués un à
un. En pleine connaissance de cause. La secrétaire, l’infirmier mal habillé,
l’agent de sécurité, les médecins et toutes les autres âmes que j’ai trouvées
là. Ma rage était si grande…
Elle se tait. La
culpabilité lui fait pencher la tête vers l’avant, un peu vers la gauche. Ses
émotions sont sincères. Pourtant, elle avale sa salive, porte sa main au visage
et humidifie ses lèvres. Elle cache quelque chose. Elle omet de mentionner les
réserves de chlorolanfaxine qu’elle a dérobées.
Qu’en a-t-elle fait?
-- J’ai fui la ville
le jour même. Après des jours à marcher sans savoir où j’allais, je me suis
retrouvée dans ce joli petit village. Les habitants m’ont accueillie comme si
j’étais de la famille. C’est tout ce dont j’avais besoin.
Minya a l’air démolie.
Son passé l’affecte sans aucun doute, mais elle n’est pas dégoûtée par son
crime. Charles pose la main sur son poignet. Sa peau est chaude, terriblement
douce.
-- Minya, j’aimerais
vraiment que tu viennes avec moi. Mon client souhaite détruire AlphaLab.
Ses yeux noirs, qui
étaient retournés vers la cour, reviennent aussitôt sur lui, durs et froids.
-- Il en a les moyens,
précise-t-il. Crois-moi.
Minya sourit. Ses dents
rappellent le cruel sourire du chat d’Alice aux pays des merveilles.
-- Ce serait la plus
belle des vengeances, murmure-t-elle.
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